Quelle Université pour demain ?
Cette mobilisation s'inscrit donc dans un contexte global de rejet des réformes enteprises par Sarkozy (réforme des régimes spéciaux qui annonce une réforme plus globale casse des retraites, franchises médicales, remise en cause du droit de grèves, etc). Pour autant, aussi revanchard que puisse être la droite après la mobilisation historique de la jeunesse contre la LEC en 2006, cette mobilisation a des raisons qui lui sont propres.
Ces raisons, elles se trouvent dans une formule simple: un service public de l'enseignement supérieur et de la recherche qui soit réellement gratuit, de qualité et ouvert à tou-te-s. En effet, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) cristallise un certain nombre de points de rejet de la politique actuelle menée par Sarkozy et sa collaboratrice Pécresse au ministère de l'enseignement supérieur.
La loi décryptée
Quelle gouvernance dans les facs ?
Dans les assemblées générales, les étudiant-e-s commencent à bien se rendre compte que quelques organisations syndicales étudiantes n'ont de cesse de parler de la gouvernance des universités comme si cette question devait être la seule à être condamnée du fait que la représentation des élu-e-s étudiant-e-s et des personnels non enseignant-e-s. Pourtant, au-delà de la défense des privilèges accordés aux associations étudiantes représentatives, il faut bien comprendre que ce changement de gouvernance pose d'autres problèmes plus concrets.
Certes, les représentant-e-s des étudiant-e-s ne seront plus qu'entre 3 et 5 dans un conseil d'administration (CA) qui se composera de 20 à 30 membres. Pour autant, ce qui doit inquiéter ce sont deux autres éléments. D'abord, le fait que la gestion de l'université n'aille en aucun cas dans le sens d'une démocratisation (alors que les institutions universitaires actuelles sont très loin d'être des exemples de transparence et de démocratie participative – c'est d'ailleurs pour mettre fin à ce régime que les étudiant-e-s mobilisés réclament souvent une démocratisation de la gestion des universités). Ensuite, le fait que les représentant-e-s extérieur-e-s à l'université puissent représenter 7 à 8 personnes dans le CA permet d'entrevoir la finalité de cette réforme.
Ces personnalités extérieures ne sont pas des individus qui sortent de nulle part, en général ce sont des représentant-e-s du monde économique (c'est à dire du Medef local, des chambres de commerce et d'industrie de la ville ou de la région, etc). Dans le même temps, le président va disposer de pouvoir accrus, et ne sera plus forcé d'être nommé parmi les enseignant-e-s chercheurs/euses, ce qui était le cas jusqu'ici. Le président devra être un-e individu-e donnant des cours dans l'université, mais il sera maintenant possible de voir des PDG donner des cours, donc il sera possible de voir un PDG arriver à la tête d'une université...
L'autonomie pédagogique, et le formatage des diplômes
Ce qui peut inquiéter dans le fait que ces représentant-e-s du monde économique local soient invités à participer à la gestion de l'université, c'est aussi le fait que la LRU crée un cadre pour les laisser intervenir sur les formations et diplômes proposés par l'université. Ces craintes ne sont pas nouvelles, et elles sont justifiés: la notion de professionalisation des diplômes ne paraît inquiéter personne, pourtant il faut comprendre ce que l'on met derrière ce terme. Il ne s'agit pas d'aider les étudiant-e-s à accéder à un emploi qui puisse leur plaire, mais d'aider les entreprises à trouver une main d'oeuvre répondant à un besoin économique bien précis. La professionalisation des diplômes, c'est de l'hyperspécialisation. A long terme, c'est une mâchine à créer des chômeurs, cela correspond à ce que nous avons déjà connu il y a quelques années: la licence airbus à Toulouse, la licence michelin à Clermont, la licence alcatel en Bretagne. Autant d'entreprises qui réclament une main d'oeuvre ultra-spécialisée, avant de licencier sans possibilités de reconversions dès que les besoins s'essouflent ou se délocalisent...
Dès lors, deux choses. D'une, certaines universités se retrouvent marginalisées: celles qui disposent de bassins économiques variés pourront avoir des formations variées. Mais une université comme celle de Reims risque de ne pas avoir beaucoup d'autres perspectives de formation que l'oenologie ou les diplômes de commerce autour du champagne.
De deux, plus grave, les conséquences sur le droit du travail et les conventions collectives. En effet, les convetions collectives doivent garantir aux salarié-e-s une égalité de traitement (au niveau des salaires et des conditions de travail) lorsqu'il y a un diplôme équivalent. Or, la LRU casse le cadre national des formations, crée les possibilités de la mise en place de diplômes plus localisés, et installe donc le risque qu'un même diplôme obtenu à Rennes ou à Poitiers n'ait plus la même valeur ni le même contenu. Partant de là, on comprend que les conventions collectives risquent d'être très rapidement rendues inopérantes... Dans le même temps, on comprend que la mobilité professionnelle n'est en aucun cas aidée par cette loi.
L'autonomie financière: la fin de l'université ouverte à tou-te-s ?
En lisant jusqu'ici cette brève synthèse de la LRU et des risques qu'elle engendre, on peut se demander pourquoi les entreprises ont obtenues cette possibilité de s'ingérer dans la gouvernance et dans les questions de pédagogie liées aux diplômes et formations. La raison n'est pas compliquée, elle est avant tout financière. Le préalable aux questions que nous avons évoqué sur la gouvernance et l'autonomie pédagogique, c'est l'investissement privé, le financement de l'université par les entreprises, qui permet dans le même temps à l'état de se désengager progressivement.
Ces financements nouveaux, ils auront donc plusieurs sources. Dans un premier temps, les collectivités territoriales pourront assurer une partie du financement. Mais alors, on comprend que si la zone géographique est plus ou moins riche, les universités seront inégalement dotées à ce niveau là. Il s'agit donc d'universités à deux vitesses.
Seconde source de financement, qui est très largement réclamé par la CPU (Conférence des présidents d'université – favorable à cette loi) depuis quelques années, c'est l'augmentation des frais d'inscriptions. Cette augmentation, elle n'est pas officielle, elle n'est pas inscrite dans la loi. Elle est même pour le moment rendu impossible par un décret qui garantit une harmonie nationale. Pour autant, cette augmentation s'inscrit dans la logique de la loi. Dernièrement le président de Paris Dauphine (Paris IX) a déclaré qu'il réfléchissait à la manière dont il pourrait mettre en place ces augmentations, de même le président de l'université de La Rochelle qui disait dernièrement qu'il fallait avoir une bone dose d'aliénation mentale pour croire que les frais n'augmenteraient pas, etc. Cette mesure est donc celle qui focalise le plus les craintes des universités, c'est d'ailleurs pour cela que les revendications des étudiant-e-s mobilisé-e-s intègrent la suppression des frais d'inscriptions pour garantir un accès à tou-te-s.
Troisième source, ce sont donc les entreprises. Des cadres juridiques sont aménagées sur mesure pour que les entreprises puissent investir financièrement, ce sont ce que la LRU nomme les fondations. Ces fondations peuvent être amenées à jouer un rôle plus ou moins important dans le budget de l'université, ce sera aux conseils d'admnistrations et présidents d'en décider. Pour autant, comme nous l'avons expliqué au début de notre article, la participation financière des entreprises à la vie de l'université sont la première justification de la participation à la gestion et au cadrage des formations proposées par l'université.
Refuser la doctrine, proposer une université publique, gratuite et démocratique !
Cette loi se présente donc comme un cercle vicieux, la participation financière des entreprises étant présentée comme la justification à la participation de la gestion des établissements d'enseignement supérieur et de la recherche, et enfin au cadrage des formations et des diplômes. Or, ce qui est présenté par le gouvernement comme un projet implacable répondant à une logique infaillible et quasi scientifique ne fait qu'illusion. Comme l'on disait en d'autres temps, cette loi, « la réforme la plus importante de la législature » (dixit Sarkozy), est un tigre en papier.
Les étudiant-e-s mobilisés l'ont compris. Le sauvetage des universités ne passe pas par les financements des entreprises, qui imposent nécessairement une sélection sociale des étudiant-e-s, un formatage des diplômes selon des impératifs économiques à court terme et une recherche soumise à des impératifs de rentabilité.
Il existe une autre logique pour l'université, et au delà du monde universitaire, il existe une autre logique de gestion de la société, qui réponde aux besoins humains et non au besoins économiques. L'université que les étudiant-e-s défendent, elle ne repose donc pas sur la LRU. Mais ce que les étudiant-e-s veulent, ce n'est pas uniquement la suppression d'un texte de loi. C'est aussi la suppression des frais d'inscriptions à l'entrée de l'université, ce qui s'accompagne d'une réforme profonde des systèmes d'aides sociales accordées aux étudiant-e-s pour garantir que l'université soit ouverte à tou-te-s. Au delà de ça, c'est aussi la possibilité pour chacun-e de participer à l'élaboration des décisions qui concernent l'université. Il faut donc réfléchir à une gestion de l'université qui implique les personnels et les étudiant-e-s, puisque ce n'est pas le cas actuellement.
Refuser la négociation
La mobilisation qui secoue donc actuellement les universités doit donc continuer à prendre de l'ampleur, y compris dans les lycées. Il est nécessaire de sensibiliser les salariés aussi, et de faire en sorte que puissent se dérouler des mobilisations communes avec les autres secteurs en lutte (cheminots, fonction publique, etc).
Cette loi est une atteinte au service public de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vouloir la négocier, c'est d'ores et déjà se placer dans une logique d'unanimité sarkozyste, c'est en tout cas une option que les étudiant-e-s ont fait le choix de refuser comme l'a fait savoir la coordination qui s'est réunie à Rennes II le 10 novembre.
Les perspectives : étudiant-e-s et lycéen-ne-s, tous ensemble !
Les prochaines dates de mobilisation sont le 14 et 20 novembre, aux côtés des salariés.
D'ici là, de nombreuses universités auront encore des assemblées générales. Une quinzaine sont déjà actuellement en grève (bloquées). Les enseignant-e-s chercheurs-euses commencent à apporter un soutien actif aux grévistes. Les lycéen-ne-s font actuellement un travail d'information sur cette loi. Pendant ce temps, Pécresse annonce qu'elle supprimera 11 milions d'euros à l'université de Jussieu (Paris VI) pour les placer dans un plan de logement... Manifestement, le gouvernement n'a rien compris.
Aujourd'hui, les forces de répression sarkozystes ont attaqués plusieurs manifestations qui se déroulaient sans heurts. Les arrestations sont ciblées: deux grévistes sur Rennes dont un syndicaliste de Sud étudiant, des grévistes lillois, mais aussi des attaques contre les piquets à Nanterre. Mais rien n'entamera la détermination des étudiant-e-s mobilisé-e-s contre cette loi, pas même la volonté du gouvernement de mater toutes les oppositions appuyées qu'il rencontre.